Les dessous de la fabrication textile sont tout aussi passionnants et complexes que la couture elle-même. Aujourd’hui on va un peu parler technique (du moins essayer) à la découverte du musée du Textile et de la Mode de Cholet. Quand nous avons essayé de voir ce qu’il y avait à visiter en marge du Salon pour l’amour du fil à Nantes, nous avons été emballées par ce musée. Et je dois dire que cette visite a été tout simplement magique..
Le musée est installé dans l’ancienne usine de blanchiment des toiles « La Rivière Sauvageau ». L’usine a été construite en 1881, restaurée par la ville de Cholet et des bénévoles (Union Rempart) et transformée en musée en 1995 dans le but de préserver ce patrimoine industriel. Le hall d’accueil (Crystal palace) a été construit à la même date.
Avec sa grande cheminée de 26 m, cette usine est l’un des derniers témoins de l’activité textile de Cholet. Le fameux mouchoir rouge de Cholet y est toujours tissé. Il est fabriqué par les ouvrières de l’Esat Arc en ciel. Le musée vend son fameux mouchoir mais également des articles créés par des artisans locaux, avec des torchons et essuie-mains tissés par la société Tissage de l’Ouest, à La Salle et Chapelle Aubry.
Le musée offre un parcours assez complet, de la fibre à la toile, en passant par la chaufferie et les procédés de teinture, avec un jardin des plantes textiles et tinctoriales. Le musée présente également le linge de maison qui était fabriqué. En prime, il y a une exposition temporaire intitulée « Faux semblants ». Ce qui m’a le plus intéressé dans ce musée ce sont les splendides métiers à tisser et les techniques de traitement des toiles.
Tissage du fil
Dans le hall d’accueil trônent de superbes métiers à tisser industriels. Le principe du métier à tisser est « simple »: il s’agit d’entrecroiser perpendiculairement deux types de fils: la trame (largeur) les fils de chaine (longueur). La mise en œuvre de ce principe a connu de nombreuses évolutions et améliorations technologiques ainsi qu’illustré par les machines présentées.
Les fils de chaîne: Ils sont organisés en fonction de la largeur du tissu et de l’ordre des couleurs (ourdissage). Les bobines sont ensuite dévidées parallèlement sur un rouleau appelé ensouple. Les fils sont enfin passés dans un bain de colle pour les durcir (autrefois à base d’amidon) (encollage), avant d’être installés sur le métier à tisser, ceci afin de limiter les contraintes subies lors du tissage.
Les fils de trame. Le fil de trame est bobiné sur une canette insérée dans une navette qui va intégrer le fil de trame entre les fils de chaîne. A l’origine, les navettes passaient d’une main dans l’autre, ce qui limitait la largeur des tissus. Avec l’évolution des techniques, d’autres mécanismes de lancement plus perfectionné des navettes vont permettre d’élargir les laizes des tissus et d’accroître le rendement des tissages. Les navettes ont par la suite disparu au profit de pinces et de mécanisme à air comprimé.
Lever les fils de chaîne. Les fils de chaîne sont levés suivant le type de tissu souhaité (armure du tissu ou façon d’entrelacer les fils de chaîne et de trame). Le métier Jacquard a permis d’automatiser cette tâche: des cartons perforés commandent automatiquement la levée des cadres des fils pairs et impairs de la chaîne. C’est un piano qui réalise les perforations des cartons. Les lisses (tiges métalliques) et les dents du peigne permettent de maintenir en bon ordre les fils de chaîne. Le peigne plaque ensuite le fil de trame lors de chaque passage dans les fils de chaîne et ainsi s’opère le tissage.
N° 1 métier à tisser à fouet (vers 1910, 4 cadres pour réaliser l’armure toile, laize de 60 à 80 cm, 140 battements par minutes, changements de couleurs automatique). Ce métier fonctionnait avec l’énergie produite par une machine à vapeur et a ensuite été doté d’un moteur électrique.
La disposition des fils:
N° 2 Métier à tisser à fouet (vers 1930, de 4 à 16 cadres pour réaliser différentes armures, laize 120 cm, 120 battements par minutes). Il est doté d’un mécanisme qui détecte automatiquement quand les navettes sont presque vides et arrête le travail. Ratière avec cartes à picot pour commander automatiquement le changement de cadres.
Et là encore le placement des fils:
N° 3 Métier à tisser à sabre (vers 1950) (6 cadres pour réaliser différentes armures, 120 cm de laize, 120 battements par minute). Le sabre est une sorte de levier vertical qui pousse rapidement la navette et lui donne suffisamment de vitesse pour traverser toute la largeur du battant. Il dispose lui aussi d’un mécanisme qui détermine quand la navette est vide et arrête la machine. Un système de cartes perforées détermine automatiquement le mouvement des cadres et le changement des couleurs.
La disposition des fils ainsi que le mécanisme de séparation des laizes:
N° 4 Machine à tisser à lances (vers 1970, de 4 à 16 cadres pour réaliser différentes armures, 240 cm de laize, 180 battements par minutes). Les navettes ne sont plus utilisées dans ces machines au profit d’une bobine qui fournit le fil de trame, transporté par une pince. Cela augmente la rapidité de ces machines et la largeur des laizes. Cartes perforées de programmation.
Vous apprécierez au passage cette photo prise en toute illégalité depuis la passerelle surplombant les machines exposées. En l’absence de panneau d’interdiction, j’ai grimpé et j’ai eu juste le temps de faire des clichés avant de me faire rabrouer par le personnel du musée qui m’a précisé que la passerelle n’était pas autorisée au public… Et encore quelques unes pour le plaisir des yeux..
D’autres machines plus anciennes sont également exposées dans le hall d’accueil du musée (Métier à bras, rouet et fuseau).
Le tissage du mouchoir de Cholet
L’atelier de tissage du mouchoir de Cholet est effectué dans le musée depuis 2003. Le métier à tisser est installé dans l’ancienne blanchisserie. Il date de 1987 et provient de l’usine de tissage Turpault de Cholet. Le fil utilisé est un coton égyptien, teint avant d’être tissé. 4582 fils sont disposés dans un certain ordre pour obtenir les couleurs du mouchoir. La machine tisse 230 trames par minute. 20 000 pièces sont produites par an.
Le traitement des tissus (ennoblissement)
Une fois tissées, les toiles ne sont pas prêtes à l’emploi. Elles doivent au préalable être débarrassées de leurs impuretés et être traitées en vue du rendu souhaité (notamment au toucher) et de la couleur à apporter. Elles sont soumises à cette fin à différents traitements : blanchiment, teinture et apprêts. Ces travaux d’ennoblissement sont effectués dans les blanchisseries. Ils nécessitent de l’eau (d’où l’importance des sites avec des cours d’eau) et des près pour étendre et faire sécher les tissus, ainsi qu’on peut le voir sur cette carte postale ancienne.
Le blanchiment et la teinture
Le blanchiment vise à éliminer l’encollage ainsi que tous les résidus des fibres et à transformer les tissus écrus en toiles blanches. L’obtention de la couleur blanche se fait après tissage mais pour les tissus à plusieurs couleurs, tous les fils sont au préalable blanchis puis teints avant tissage. De par la valeur ajoutée qu’ils confèrent aux tissus, les techniques de blanchiment sont des secrets de fabrication. Et à ce titre, les blanchisseurs (fonction réservée aux hommes) étaient mieux payés que les tisseurs.
Les techniques de blanchiment n’étaient pas un modèle d’écologie: soude, acide chlorhydrique, chlore, acide sulfurique. Ci-dessous, la recette de « grand blanc » de Cholet pour les toiles en lin, ça fait froid dans le dos.
Les travaux de restauration de l’usine ont permis de mettre à jour un ensemble de cuves en granit et brique, des canaux pour l’écoulement des eaux ainsi que des rails empruntés par des wagons pour le transport des toiles. L’une des salles de la blanchisserie de Cholet comprend deux cuves de chlorage et d’acide ainsi que des cuves de lavage.
L’usine pratiquait le blanchiment en boyau: les toiles étaient cousues entre elles (boyau d’une longueur de 10 mètres) au moyen de ce type de machine en coudre et des machines les entrainaient d’une cuve à l’autre, suivant la recette de fabrication de l’usine.
L’atmosphère de ces salles était humide et toxique. Les blanchisseurs devaient porter des sabots (bois et caoutchouc) pour éviter de glisser et des tabliers en toile de jute qui ne devaient pas vraiment les protéger des risque de projections d’acide et autre.
Les apprêts
Ils constituent la dernière phase du traitement des toiles et leur donnent leur aspect final. Les tissus sont essorés au cylindre entre deux rouleaux de bois pour enlever tous les plis. Ils sont empesés au moyen d’amidon ou de fécule, séchés, assouplis et lustrés avec un maillet en bois et repassés (calandrage). Ce travail était réservé aux femmes… (no comment).
Voilà un petit aperçu de ce musée, sous un angle très sélectif. Nous aurons probablement l’occasion d’approfondir ces questions techniques sous un angle plus actuel, avec les visites d’usines textiles: la semaine textile organise en juillet des journées portes ouvertes dans un certain nombre d’usines. A ne pas rater si vous êtes dans le coin!
La suite de nos aventures à Nantes et dans ses environs va suivre très bientôt!
Nathalie
Il est passé où mon commentaire ? je disais que vous m’aviez bien donné envie d’aller faire un tour à Cholet (honte à moi, je n’ai jamais visité ce musée)
Je suis ravie que ce petit aperçu t’ai donné envie d’y aller. En plus les démonstrations sur les machines sont vraiment spectaculaires et à cette époque de l’année, l’entrée est gratuite. C’est dommage on a des vidéos mais on n’a pas encore la marche à suivre pour les insérer dans nos articles.. peut-être prochainement hein Fabrice?!!
Ca m’a donné envie d’aller y faire un tour (la honte, je n’y suis encore jamais allée)
Un grand merci pour ce superbe reportage !
Merci à toi de ton gentil commentaire. Cela fait plaisir de voir que parfois des articles un peu moins « fun » peuvent susciter de l’intérêt. En tout cas j’ai pris beaucoup de plaisir à analyser et faire le tri de mes photos, à faire des recherches, histoire de ne pas trop dire trop de bêtises. Et sur ce coup là, je remercie la Prof pour avoir revu cet article avec moi avant sa publication..
Nathalie, bravo pour ce superbe article. J’ai personnellement beaucoup apprécié la visite de ce musée et grâce à ta prose et tes photos, j’en garderai un meilleur souvenir encore.
Bon, maintenant faut vraiment que je me bouge et que je travaille un peu sur mes articles à moi.
Yapluka! j’ai fait le plein..
Merci pour ce résumé très instructif. Il a l’air vraiment chouette ce musée. Ton article donne envie de le visiter.
C’est plus une vision sélective qu’un résumé du musée. Il y avait énormément de choses à voir. Entre mes photos et celles de la Prof on pourrait écrire plusieurs articles!! D’ailleurs la Prof a mitraillé sur l’exposition Faux-semblants qui ne m’a pas emballé outre mesure. je pense que sur sa page Facebook on peut avoir un autre aperçu et une autre vision de la visite du musée (https://fr-fr.facebook.com/sarahlayachicouture/)
Merci pour cet article très intéressant et bien documenté. A bientôt au plaisir de te lire à nouveau. Bon week-end
Merci beaucoup Anne-Marie. J’espère que la suite de notre périple va te plaire.. En tout cas on s’est bien amusées et on a vu de si belle choses.. Bon j’ai bien insisté pour voir plus de châteaux (Angers n’était pas loin..) mais mes comparses m’ont fait gentiment comprendre qu’on n’avait pas trop le temps. Nous avons essayé d’équilibrer ce voyage sur les choses à voir et à visiter et je pense qu’on a bien réussi sur ce coup là..
Bravo les copines pour ce premier épisode de vos aventures à Cholet !! J’ai hâte de lire la suite, surtout les scoops moins sérieux :))
Merci pour ce retour près de mes racines !
La culture c’est aussi important quand même!!! Au moins j’aurai appris que tu es née dans le coin .. en bonne jurassienne… Mon grand-père maternel était aussi originaire de Nantes!!
Les articles plus fun vont suivre maintenant. Étant la photographe officielle de ce trip, avec l’assistance soutenue de la Prof, j’ai transmis à Fanfreluche toutes les photos.. Donc on va pouvoir vous en mettre plein les yeux!!