L’exposition Back Side (Dos à la mode) est organisée conjointement par le musée Galliera (actuellement en travaux) et le musée Bourdelle, à Paris. Le parti pris est de montrer des vêtements « de dos ». Je dois dire que ce concept m’a vraiment emballée. La plupart du temps, les modèles ne sont présentés que de face, et dans nos modestes créations nous portons aussi tout notre intérêt sur le devant. Le musée Bourdelle est l’atelier du sculpteur Emile-Antoine Bourdelle. Il contient bien sûr énormément de statues et sculptures mais aussi de ravissants jardins intérieurs. Tout y invite à la sérénité : des transats, des bancs dans les jardins, des bosquets d’hortensias… Les organisateurs de l’exposition ont vraiment mis en valeur les vêtements avec les œuvres du sculpteur.
Cette exposition vise à montrer l’évolution de la construction des vêtements féminins (il y a assez peu de pièces masculines) au travers de la symbolique du dos. Bien sûr elle nous montre des pièces dont le dos est travaillé, dont le dos constitue en quelque sorte tout l’intérêt du vêtement et le point de convergence du regard. Mais au delà des spécificités des vêtements exposés, il y a toute une réflexion sur la symbolique du dos et sur la perception de la femme au travers de ses vêtements, avec différentes thématiques.
Préambule
Une première grande salle, le hall des plâtres, présente cinq vêtements contemporains de haute couture ou de prêt à porter, de genre assez différent. Les mannequins trônent majestueusement au milieu de statues monumentales. Pour cette première photo de l’exposition j’ai pris le contre-pied du thème sur cette photo puisque quand on rentre dans cette immense salle, tous les mannequins sont de dos, bien entendu!
La robe Thaïs (Givenchy, haute couture) a été portée par l’actrice Cate Blanchett, à l’occasion du Festival de Cannes en 2018 où elle en était la présidente. Le corsage est effectivement très contrasté entre le dos et le devant:
La robe brise (Chloé, version contemporaine de 2019) est toute aussi spectaculaire, avec des perles tubes de verre et strass Swarovski. Le dos se veut être un pommeau de douche aux goutes de perles…
La robe retenue pour l’affiche de l’exposition, de Martine Sitbon (reconstitution contemporaine, modèle d’origine de 1997-1998) était protégée par une barrière donc pas de possibilité de la prendre de face. Sur une des vidéos du site de la créatrice, elle apparaît de face. Elle reste vraiment magnifique.. de dos, de par sa construction géométrique qui épouse parfaitement la forme du corps.
Dans l’atelier de Bourdelle, deux modèles de Comme des garçons (1997) présentent une vision du « dos remodelé » et nous renvoient à une vision critique du corps idéal. Intéressant comme exercice de style, à noter que les protubérances sont amovibles…
Le gros de l’exposition se poursuit dans l’aile moderne Portzamparc du musée.
Dos absent (paradoxe du dos)
L’exposition met l’accent sur l’absence du dos dans le monde de la couture et de la mode. Un mur entier est couvert de photos des défilés de la dernière saison de prêt à porter 2019: 79 défilés, 3524 silhouettes proposées, toutes montrées de face. Les medias, avec leur recherche de rapidité de diffusion, se focalisent sur ce qu’ils estiment essentiels: les prises de vues des devants des créations et font l’impasse sur le dos. Ce qui a des conséquences sur le processus de création puisque les dos travaillés ne sont pas toujours privilégiés par les créateurs.
Dos oubliés
Des pièces du vestiaire masculin et féminin nous montrent le caractère accessoire du dos. L’ancêtre du costume pour homme était constitué d’un gilet, d’une culotte et d’une veste. Le gilet était richement décoré sur le devant mais il n’était pas jugé nécessaire de faire des efforts pour le dos puisqu’il était caché par la veste qui ne devait pas être enlevée. Le dos était donc cousu dans un tissu de moindre qualité, en lin ou en chanvre. Certains vêtements de femme utilisent ce même artifice et on a toutes eu recours: un joli tissu imprimé devant et comme on en n’a pas assez, un tissu uni du fond du stock pour le dos. Tous ces vêtements étaient protégés par une vitrine donc impossible de voir le devant (seul intérêt de ces pièces!).
Dos sillages (traine)
La traine allonge et prolonge la ligne du dos. C’est une construction très esthétique qui souligne le mouvement de la marche. Sa présence sur les vêtements a considérablement variée au fil du temps. Symbole du pouvoir, elle s’est faite démesurément ostentatoire, sa longueur étant proportionnelle au rang de la personne. Puis décriée comme étant l’incarnation de la vanité et du mal, elle a été bannie, pour réapparaître de manière plus « raisonnable » à partir du XIXe siècle. La traine a disparu du vestiaire masculin. Pièce essentiellement féminine, elle apparaît sur certaines robes du soir et reste l’apanage de la robe de mariée, comme cette robe (haute couture (Maggy Rouff, 1934), pour témoigner du caractère solennel de l’événement (pas du pouvoir de la femme..).
Des exemples de traine sur des robes du soir et une pièce vraiment très originale, la robe Trench-coat, signée Jean Paul Gaultier:
Dos chargé (ou comment en avoir plein le dos!)
De tout temps, le dos a été la partie du corps la plus sollicitée pour porter des charges en tout genre. J’en sais quelque chose avec mes sacs lourds (surtout le sac de couture!). L’exposition nous montre comment les sacs, et en particulier les sacs à dos, ont été intégrés par les plus grands couturiers dans des vêtements. Des pièces originales, pas nécessairement très pratiques, notamment en terme de solidité du vêtement, mais il fallait y penser!
Quelques détails de dos, y compris d’un modèle homme exposé dans le hall des plâtres:
Dos ailé
Le dos ailé reste une extravagance, une excentricité, assez peu exploitée en couture pour des raisons pratiques et de coûts évidents. Certains créateurs ont fantasmé sur des représentations d’oiseau ou d’insectes. Thierry Mugler a réalisé un défilé intitulé « L’Hiver des Anges » en collaboration avec le plumassier Lemarié dont on peut voir une superbe robe ailée :
Alexander McQueen a également beaucoup travaillé sur les ailes, cette robe que l’on peut voir recto verso (photo de gauche et au milieu) est issue de la collection posthume « Anges et démons », sa représentation des ailes est dans le dessin (2010-2011).
Dos contraint (l’entrave)
Pour mettre en valeur un vêtement, l’ajustement se fait dans le dos avec tout un éventail de contraintes et fermetures: laçage, boutons, crochets… c’est là une grande différence par rapport au vestiaire masculin où rien ne se ferme dans le dos. Contrainte physique du dos et dépendance de la femme pour fermer ses vêtements. La fermeture à glissière dans les années 30 va contribuer à « libérer » les femmes, grâce à des créatrices plus sensibilisées à la question, qui vont même jusqu’à les poser sur le côté ou devant.
Cet échantillon (d’œuvres bien contemporaines comme quoi la libération des femmes n’est pas encore totale!) nous montre de gauche à droite, le laçage (lacet de 8,58 m passé à travers 166 œillets), les agrafes et les boutons:
Il n’en demeure pas moins que ces dos contraints sont esthétiquement très beaux et chargés d’érotisme puisqu’ils invitent bien entendu à l’effeuillage ou au déshabillage. Cette robe fourreau de John Galliano (1998-1999) à la forme sirène est fermée par 51 boutons dans le dos. Elle captive tellement le regard qu’on en oublie la symbolique…
Dos marqués (motifs et marques)
Le dos est une large surface plane qui se prête parfaitement aux motifs placés, broderies et autres décorations. A l’origine on les trouvaient surtout sur les vêtements sacerdotaux pour des raisons évidentes: ils étaient destinés à être vus des paroissiens. Cette tendance a été reprise dès les années 20 dans le monde de la couture: grands motifs sur des manteaux, grands nœuds sur les robes.
Des pièces plus « anatomiques » avec la veste queue de pie d’Alaïa en peau de crocodile qui dessine la structure du dos, ou ce corset anatomique d’Alexander McQueen (pour Givenchy) en cuir.
Ou encore d’autres modèles plus excentriques:
Ces décorations dans le dos vont évoluer progressivement vers des messages et symboles en tout genre qui seront également exploités en termes de logos sportifs ou militaires et de publicité. Entre reconnaissance élitiste ou publicité gratuite, faites votre choix…
Sont également exposées toute une série de photos de la photographe Susan Barnett, prises dans le cadre de son projet « Not in your face« . La photographe a choisi de prendre en photos des inconnus en raison de certains messages et / ou images affichés sur le dos de leur vêtement, pour comprendre la personnalité de ces personnes et leur reconnaissance en tant que groupes.
Dos nus
Le dos nu est « la pièce de résistance » de l’exposition. Cette partie compte en effet le plus de vêtements. C’est un tourbillon de robes, aux formes et couleurs extravagantes et variées. Le dos nu est un des symboles de la libération du corps des femmes. Il est né dans les années 1910 et a connu un essor dans les années 20. Les femmes peuvent enfin bouger librement dans leur vêtement et ne craignent plus de se dévoiler.
Après la rigueur vestimentaire de la 2e guerre mondiale, le dos nu fait sa réapparition dès les années 60 pour exploser dans les années 70. Une des pièces maitresses est la fameuse robe portée par Mireille Darc dans le « Grand blond avec une chaussure noire. L’actrice avait demandé de privilégier un décolleté dans le dos. Il en a résulté un vertigineux « décolleté de fesses » avec une chainette dans le dos pour maintenir la robe. Pour les femmes dotées d’une poitrine modeste, le dos nu permet de « compenser » et de mettre en valeur le dos.
Même procédé avec cette superbe robe d’Yves Saint Laurent en crêpe de laine noire avec un dos orné de dentelle. Le dos nu permet habilement de jouer des contrastes et d’envoyer des signaux contradictoires ou plus subtils. Avec un devant strict, parfois complètement fermé, il joue l’effet de surprise en dévoilant le dos y compris jusqu’à la cambrure des reins.
Il se combine également avec tout un jeu de lanière, bretelles pour que la robe puisse rester en place et permet aux créateurs d’exprimer toute leur imagination.
Les robes noires sont visibles de dos et de face et l’ensemble des robes se reflète dans un jeu de miroirs:
Les robes plus colorées, face au mur, n’offrent au regard que leur dos somptueux:
Cette exposition se poursuit jusqu’au 17 novembre 2019. Si vous êtes dans le coin, elle mérite vraiment le détour. Très bon week-end encore festival qui pourrait nous permettre de sortir nos dos nus (sans tichirte!)..
Nathalie
Cette expo était vraiment riche et bien faite, organisée avec beaucoup d’intelligence pour bien montrer l’évolution de la représentation du dos. Il y avait aussi pas mal de photos de modèles non exposés et des films sur la même thématique. J’ai zappé les films, et j’ai préféré passer plus de temps au milieu de toutes ces robes et autres vêtements magnifiques..
Géniale cette expo !
Merci pour le partage ! Incroyable de découvrir toutes ces subtilités !
Wahou ! quelle belle expo ! Merci de nous en faire profiter.
C’est toujours avec plaisir que je partage ces beaux moments…
OMG, c’est beau … & oui, le dos contraint, c’est magnifique …. Même si c’est le symbole de la servilité … Quant au dos nu, la robe de Mireille Darc restera dans les mémoires !
C’est exactement l’impression que j’ai eu quand je suis rentrée dans cette immense salle avec toutes ces robes!!! Ma préférée je l’avoue est cette splendide robe longue sirène, boutonnée dans le dos.. Je lui ai tourné autour pendant un bon moment.. En plus il n’y avait presque personne et c’était top pour prendre son temps, bien voir et mitrailler!!
Merci beaucoup Nathalie. Tu nous as fait rêver. Ton article est une vraie visite guidée, superbement documentée. Quel beau travail !
Merci beaucoup!!! Pas difficile de rêver et de faire rêver devant de telles splendeurs.. L’écriture de l’article a été vraiment enrichissante et prenante..
Quel article passionnant! J’aime beaucoup les dos travaillés. Ce fut un régal pour moi de lire ton article et de voir tes photos. Merci pour ce partage.
Merci beaucoup!! cela donne effectivement une autre perspective des vêtements. Je pense qu’à l’avenir je vais essayer de mettre des fantaisies dans le dos ou du moins de le mettre plus en valeur.
Merci pour le partage. Cette exposition me faisait très envie, mais je n’aurai pas l’occasion de la voir, alors j’apprécie d’autant plus ton reportage.
Ravie que cet article t’ait plu.. C’est dommage que tu n’aies pas l’occasion d’y aller.. J’ai l’impression de d’avoir vu plusieurs fois cette expo en me replongeant dans les photos, c’était vraiment magique!!
Oh merci ! ça fait plusieurs fois que j’entend parler de cette magnifique exposition, et je la visite grace à toi !
En plus j’adore faire des robes avec dos nus, enfin, pour mes filles…. mais je me souviens d’une robe noire en panne de velours, qui était décolletée jusqu’à la taille, quand j’étais jeune, hummm
Je suis vraiment tombée par hasard sur cette expo, dans une de mes dernières revues de couture!! Elle vaut vraiment le détour. Alors tu as fait une robe façon Mireille Darc !!! ça devait être quelque chose!!