Exposition Back Side, la symbolique du dos

Exposition Back Side, la symbolique du dos

L’exposition Back Side (Dos à la mode) est organisée conjointement par le musée Galliera (actuellement en travaux) et le musée Bourdelle, à Paris. Le parti pris est de montrer des vêtements « de dos ». Je dois dire que ce concept m’a vraiment emballée. La plupart du temps, les modèles ne sont présentés que de face, et dans nos modestes créations nous portons aussi tout notre intérêt sur le devant. Le musée Bourdelle est l’atelier du sculpteur Emile-Antoine Bourdelle. Il contient bien sûr énormément de statues et sculptures mais aussi de ravissants jardins intérieurs. Tout y invite à la sérénité : des transats, des bancs dans les jardins, des bosquets d’hortensias… Les organisateurs de l’exposition ont vraiment mis en valeur les vêtements avec les œuvres du sculpteur.# Exposition Back side (Dos à la mode) Musée Bourdelle

Cette exposition vise à montrer l’évolution de la construction des vêtements féminins (il y a assez peu de pièces masculines) au travers de la symbolique du dos. Bien sûr elle nous montre des pièces dont le dos est travaillé, dont le dos constitue en quelque sorte tout l’intérêt du vêtement et le point de convergence du regard. Mais au delà des spécificités des vêtements exposés, il y a toute une réflexion sur la symbolique du dos et sur la perception de la femme au travers de ses vêtements, avec différentes thématiques.

Préambule

Une première grande salle, le hall des plâtres, présente cinq vêtements contemporains de haute couture ou de prêt à porter, de genre assez différent. Les mannequins trônent majestueusement au milieu de statues monumentales. Pour cette première photo de l’exposition j’ai pris le contre-pied du thème sur cette photo puisque quand on rentre dans cette immense salle, tous les mannequins sont de dos, bien entendu!# Exposition Back side (Dos à la mode) Musée Bourdelle

La robe Thaïs (Givenchy, haute couture) a été portée par l’actrice Cate Blanchett, à l’occasion du Festival de Cannes en 2018 où elle en était la présidente. Le corsage est effectivement très contrasté entre le dos et le devant:

La robe brise (Chloé, version contemporaine de 2019) est toute aussi spectaculaire, avec des perles tubes de verre et strass Swarovski. Le dos se veut être un pommeau de douche aux goutes de perles…

La robe retenue pour l’affiche de l’exposition, de Martine Sitbon (reconstitution contemporaine, modèle d’origine de 1997-1998) était protégée par une barrière donc pas de possibilité de la prendre de face. Sur une des vidéos du site de la créatrice, elle apparaît de face. Elle reste vraiment magnifique.. de dos, de par sa construction géométrique qui épouse parfaitement la forme du corps.

Dans l’atelier de Bourdelle, deux modèles de Comme des garçons (1997) présentent une vision du « dos remodelé » et nous renvoient à une vision critique du corps idéal. Intéressant comme exercice de style, à noter que les protubérances sont amovibles…

Le gros de l’exposition se poursuit dans l’aile moderne Portzamparc du musée.

Dos absent (paradoxe du dos)

L’exposition met l’accent sur l’absence du dos dans le monde de la couture et de la mode. Un mur entier est couvert de photos des défilés de la dernière saison de prêt à porter 2019: 79 défilés, 3524 silhouettes proposées, toutes montrées de face. Les medias, avec leur recherche de rapidité de diffusion, se focalisent sur ce qu’ils estiment essentiels: les prises de vues des  devants des créations et font l’impasse sur le dos. Ce qui a des conséquences sur le processus de création puisque les dos travaillés ne sont pas toujours privilégiés par les créateurs.

Dos oubliés

Des pièces du vestiaire masculin et féminin nous montrent le caractère accessoire du dos. L’ancêtre du costume pour homme était constitué d’un gilet, d’une culotte et d’une veste. Le gilet était richement décoré sur le devant mais il n’était pas jugé nécessaire de faire des efforts pour le dos puisqu’il était caché par la veste qui ne devait pas être enlevée. Le dos était donc cousu dans un tissu de moindre qualité, en lin ou en chanvre. Certains vêtements de femme utilisent ce même artifice et on a toutes eu recours: un joli tissu imprimé devant et comme on en n’a pas assez, un tissu uni du fond du stock pour le dos. Tous ces vêtements étaient protégés par une vitrine donc impossible de voir le devant (seul intérêt de ces pièces!).

# Exposition Back side (Dos à la mode) Musée Bourdelle

Dos sillages (traine)

La traine allonge et prolonge la ligne du dos. C’est une construction très esthétique qui souligne le mouvement de la marche.  Sa présence sur les vêtements a considérablement variée au fil du temps. Symbole du pouvoir, elle s’est faite démesurément ostentatoire, sa longueur étant proportionnelle au rang de la personne. Puis décriée comme étant l’incarnation de la vanité et du mal, elle a été bannie, pour réapparaître de manière plus « raisonnable » à partir du XIXe siècle. La traine a disparu du vestiaire masculin. Pièce essentiellement féminine, elle apparaît sur certaines robes du soir et reste l’apanage de la robe de mariée, comme cette robe (haute couture (Maggy Rouff, 1934), pour témoigner du caractère solennel de l’événement (pas du pouvoir de la femme..).

# Exposition Back side (Dos à la mode) Musée Bourdelle

Des exemples de traine sur des robes du soir et une pièce vraiment très originale, la robe Trench-coat, signée Jean Paul Gaultier:

 

Dos chargé (ou comment en avoir plein le dos!)

De tout temps, le dos a été la partie du corps la plus sollicitée pour porter des charges en tout genre. J’en sais quelque chose avec mes sacs lourds (surtout le sac de couture!). L’exposition nous montre comment les sacs, et en particulier les sacs à dos, ont été intégrés par les plus grands couturiers dans des vêtements. Des pièces originales, pas nécessairement très pratiques, notamment en terme de solidité du vêtement, mais il fallait y penser!

# Exposition Back side (Dos à la mode) Musée Bourdelle

Nick Clavers manteau toile de nylon (98); Yohji Yamamoto robe à traine sac à dos (2001); Rick Owens collection Cyclope (2016)

Quelques détails de dos, y compris d’un modèle homme exposé dans le hall des plâtres:

Dos ailé

Le dos ailé reste une extravagance, une excentricité, assez peu exploitée en couture pour des raisons pratiques et de coûts évidents. Certains créateurs ont fantasmé sur des représentations d’oiseau ou d’insectes. Thierry Mugler a réalisé un défilé intitulé « L’Hiver des Anges » en collaboration avec le plumassier Lemarié dont on peut voir une superbe robe ailée :

# Exposition Back side (Dos à la mode) Musée Bourdelle

A gauche Thierry Mugler (84-85) L’hiver des anges; à droite Charles James (haute couture) (fin des années 30) manteau du soir

Alexander McQueen a également beaucoup travaillé sur les ailes, cette robe que l’on peut voir recto verso (photo de gauche et au milieu) est issue de la collection posthume « Anges et démons », sa représentation des ailes est dans le dessin (2010-2011).

Dos contraint (l’entrave)

Pour mettre en valeur un vêtement, l’ajustement se fait dans le dos avec tout un éventail de contraintes et fermetures: laçage, boutons, crochets… c’est là une grande différence par rapport au vestiaire masculin où rien ne se ferme dans le dos. Contrainte physique du dos et dépendance de la femme pour fermer ses vêtements. La fermeture à glissière dans les années 30 va contribuer à « libérer » les femmes, grâce à des créatrices plus sensibilisées à la question, qui vont même jusqu’à les poser sur le côté ou devant.

# Exposition Back side (Dos à la mode) Musée Bourdelle

JP Gaultier (haute couture) combinaison corset « Passe-passe » (2003-2004); Givenchy (haute couture) Intrigante body manteau (2018-2019); Yohji Yamamoto robe et chapeau (2018); Lanvin robe jersey et plume d’autruche (2010-2011).

Cet échantillon (d’œuvres bien contemporaines comme quoi la libération des femmes n’est pas encore totale!) nous montre de gauche à droite, le laçage (lacet de 8,58 m passé à travers 166 œillets), les agrafes et les boutons:

Il n’en demeure pas moins que ces dos contraints sont esthétiquement très beaux et chargés d’érotisme puisqu’ils invitent bien entendu à l’effeuillage ou au déshabillage. Cette robe fourreau de John Galliano (1998-1999) à la forme sirène est fermée par 51 boutons dans le dos. Elle captive tellement le regard qu’on en oublie la symbolique…

 

Dos marqués (motifs et marques)

Le dos est une large surface plane qui se prête parfaitement aux motifs placés, broderies et autres décorations. A l’origine on les trouvaient surtout sur les vêtements sacerdotaux pour des raisons évidentes: ils étaient destinés à être vus des paroissiens. Cette tendance a été reprise dès les années 20 dans le monde de la couture: grands motifs sur des manteaux, grands nœuds sur les robes.

# Exposition Back side (Dos à la mode) Musée Bourdelle

Premier plan Jean Patou par Christian Lacroix (haute couture) 86-87) robe du soir; Paul Poiret Les croisières de la mode (haute couture) 1935-1937 robe de bal costumé

Des pièces plus « anatomiques » avec la veste queue de pie d’Alaïa en peau de crocodile qui dessine la structure du dos, ou ce corset anatomique d’Alexander McQueen (pour Givenchy) en cuir.

Ou encore d’autres modèles plus excentriques:

Ces décorations dans le dos vont évoluer progressivement vers des messages et symboles en tout genre qui seront également exploités en termes de logos sportifs ou militaires et de publicité. Entre reconnaissance élitiste ou publicité gratuite, faites votre choix…

Sont également exposées toute une série de photos de la photographe Susan Barnett, prises dans le cadre de son projet « Not in your face« . La photographe a choisi de prendre en photos des inconnus en raison de certains messages et / ou images affichés sur le dos de leur vêtement, pour comprendre la personnalité de ces personnes et leur reconnaissance en tant que groupes. # Exposition Back side (Dos à la mode) Musée Bourdelle

Dos nus

Le dos nu est « la pièce de résistance » de l’exposition. Cette partie compte en effet le plus de vêtements. C’est un tourbillon de robes, aux formes et couleurs extravagantes et variées. Le dos nu est un des symboles de la libération du corps des femmes. Il est né dans les années 1910 et a connu un essor dans les années 20. Les femmes peuvent enfin bouger librement dans leur vêtement et ne craignent plus de se dévoiler.

# Exposition Back side (Dos à la mode) Musée Bourdelle

Guy Laroche haute couture) 1972 crêpe de soie, intérieur jersey

Après la rigueur vestimentaire de la 2e guerre mondiale, le dos nu fait sa réapparition dès les années 60 pour exploser dans les années 70. Une des pièces maitresses est la fameuse robe portée par Mireille Darc dans le « Grand blond avec une chaussure noire. L’actrice avait demandé de privilégier un décolleté dans le dos. Il en a résulté  un vertigineux « décolleté de fesses » avec une chainette dans le dos pour maintenir la robe. Pour les femmes dotées d’une poitrine modeste, le dos nu permet de « compenser » et de mettre en valeur le dos.

Même procédé avec cette superbe robe d’Yves Saint Laurent en crêpe de laine noire avec un dos orné de dentelle. Le dos nu permet habilement de jouer des contrastes et d’envoyer des signaux contradictoires ou plus subtils. Avec un devant strict, parfois complètement fermé, il joue l’effet de surprise en dévoilant le dos y compris jusqu’à la cambrure des reins.

Il se combine également avec tout un jeu de lanière, bretelles pour que la robe puisse rester en place et permet aux créateurs d’exprimer toute leur imagination.

Les robes noires sont visibles de dos et de face et l’ensemble des robes se reflète dans un jeu de miroirs:

Les robes plus colorées, face au mur, n’offrent au regard que leur dos somptueux:

Cette exposition se poursuit jusqu’au 17 novembre 2019. Si vous êtes dans le coin, elle mérite vraiment le détour. Très bon week-end encore festival qui pourrait nous permettre de sortir nos dos nus (sans tichirte!)..

Nathalie

Semaine textile #4: les chaussettes Labonal

Semaine textile #4: les chaussettes Labonal

La visite de l’usine Labonal s’imposait car Monsieur adore les chaussettes. C’est son péché mignon avec les cravates!! Pendant la semaine textile nous n’avons pas pu aller à la visite car le jour prévu, toutes les routes autour du site de Labonal avaient été fermées pour cause de tour France qui passait à proximité. L’équipe de Labonal a été très sympa et nous a précisé qu’il serait possible de faire une visite de rattrapage. Du 16 juillet au 2 août l’usine programme sans rendez-vous des visites tous les après-midi à 14h. Bon les visites sont nettement plus courtes que celle prévue dans le cadre de la semaine textile, mais cela permet d’avoir un aperçu général du site. Alors si vous aimez les chaussettes et le bon vin…

L’usine Labonal est située à Dambach, sur la route des vins. Elle a été créée dans les années vingt et a connu rapidement du succès. Dans les années 70, Labonal était le premier fabricant et distributeur de chaussettes françaises avec son célèbre logo à la panthère. Tout comme le logo de D.M.C., la panthère a changé de position de nombreuses fois au fil des années jusqu’à finir par être debout et regarder en arrière. La légende dit que depuis que la panthère regarde derrière elle, les ennuis ont commencé pour l’entreprise. Rachetée par Kindy (les chaussettes ne se cachent plus, si vous vous souvenez…) la marque Labonal est retirée de la vente jusqu’en 1996 et le site de Dambach est fermé. En 1998, l’actuel directeur et quelques cadres décident de reprendre et de rouvrir l’usine Labonal. L’entreprise connait des débuts difficiles, sans grand carnet de commandes. Elle fabrique des chaussettes essentiellement pour la grande distribution (Auchan, Leclerc) sous la propre marque de ces enseignes. Ce sont des chaussettes de qualité moindre par rapport à celles estampillées Labonal (pas de lavage, elles sont formées sur des machines plus anciennes, avec des qualité de fil différentes).

Labonal, usine à Dambach

La société s’est développée progressivement et a ouvert quatre magasins Labonal à Strasbourg, Obernai, Mulhouse et Besançon. Le site de Dambach comprend également un grand magasin d’usine.

Labonal, magasin d'usine à Dambach

Elle vend toujours sur les marchés même si le nombre de camionnettes a diminué. En 2018, elle a créé la marque Frenchie qui cible plus particulièrement les jeunes, avec des tarifs plus abordables. Cette année la marque a été autorisée à participer au marché de Noël de Strasbourg.

Labonal à Dambach, camionnette marque Frenchy

Pour la partie plus technique, l’usine fabrique des chaussettes en coton, soie, laine, fil d’Écosse et en lin. Le lin est cultivé, filé dans le nord de la France et tricoté à Dambach. A également été brevetée une chaussette spéciale anti-tiques. J’avoue être sceptique sur le procédé. Elles subissent un lavage spécial dans lequel on ajoute un produit insecticide qui paralyserait le système nerveux des tiques. De l’insecticide à même la peau… et comment assurer la résistance aux multiples lavages?

Labonal usine de Dambach

Dans l’usine, deux catégories de machines sont utilisées. Certaines tricotent et cousent en une seule opération les chaussettes, avec une couture dite plate. Ca fait rêver amies tricoteuses amatrices de chaussettes!! Tout est programmé par ordinateur, y compris la fabrication par taille.

Les autres machines tricotent seulement et il est nécessaire de procéder à une opération de remaillage (du nom de son inventeur), c’est à dire de la fermeture de la pointe. Cette opération nécessite de recourir à une autre machine et à la main d’œuvre. La chaussette est insérée à la main dans une machine qui va procéder à la couture de finition.

Les chaussettes sont ensuite lavées. Elles sont placées sur des machines, sur des pièces en forme de pied, pour l’opération dite de formage.

Usine Labonal à Dambach

Ensuite ce sont les dernières opérations de contrôle. Tous les restes de fils sont coupés manuellement, les chaussettes sont vérifiées (hauteur de tige, taille) puis appairées et conditionnées.

Là encore le discours est nettement contre la mondialisation et la concurrence avec les pays asiatique. A titre de comparaison édifiante la Chine produit 95 000 paires de chaussettes par jour, la production annuelle de Labonal est de 2 millions de paires par an. Le coût de revient d’une paire de chaussettes en Chine est de 20 centimes contre 4 / 5 euros en France. Tout ça est lié comme on le sait aux différences énormes de charges et à la qualité nettement inférieure des matières utilisées.

Usine Labonal à Dambach

Avec cette rude concurrence, il reste très peu de fabricant de chaussettes français hormis Labonal: Bleu forêt et sa société Tricotage des Vosges (même démarche que Labonal vente par le biais de la grande distribution puis en boutiques et en ligne), Perrin avec sa célèbre gamme « Berthe aux grands pieds (que j’adore!) et Broussaud. Alors c’est vrai que nos chaussettes sont un peu plus chères, mais au moins elles sont de meilleure qualité et produites dans nos régions suivant des critères et des cahiers de charges stricts.

Labonal, usine à Dambach

Ce dernier article clôt mes visites dans le cadre de la semaine textile. Il est grand temps maintenant de vous montrer ce que j’ai cousu parce que je n’ai pas chômé entre deux visites, le jardinage et le grand nettoyage d’été de la maison..

Très bon week-end

Nathalie et Monsieur

Semaine textile #3: Cléone, un atelier haute couture

Semaine textile #3: Cléone, un atelier haute couture

Cléone c’est deux établissements distincts: sa boutique de vêtements à Strasbourg où elle accueille ses clients, rue des Hallebardes, et son atelier à la Petite Pierre. Elle bénéficie du label Alsace textile que j’ai déjà évoqué, et toute sa démarche s’en ressent. Elle a fait des études de mode, formation couturier, et a ouvert sa maison de couture à Paris, à l’âge de 23 ans. Dans les années 1980, elle s’est installée en Alsace pour des raisons familiales et, de fil en aiguille, à ouvert une boutique à Strasbourg. En 1999, elle a acheté une maison à la Petite Pierre, qu’elle a entièrement rénovée et restaurée. Cette maison est son lieu de création et son atelier de haute couture.

Cléone, atelier de haute couture

La visite commence par l’étage. On y accède par un très bel escalier où dans une atmosphère clair-obscur, trône un splendide mannequin. Elle porte une robe de mariage, signée Cléone.

Gros plan sur les détails des formes et de la matière:Robe de mariée Cléone, atelier de haute couture

A l’étage, sur la gauche, une magnifique robe bleu nuit est exposée.

Détail du corsage

Robe Cléone, atelier de haute couture

L’étage est composé d’une succession de petits salons richement décorés, dont ce salon Marie-Antoinette. On peut y admirer une multitude d’objets fabriqués par l’artiste, avec notamment ce portant original avec des roues de vélo.

Dans son bureau, quelques dessins et croquis. La spécificité de Cléone est qu’elle maitrise entièrement tout le cycle de production. Elle dessine ses modèles, crée les patronages et coupe elle-même les tissus. Elle met l’accent sur la nécessité de travailler de belles matières, d’utiliser des matériaux qui ne mettent pas en danger la santé du corps, le tissu étant une seconde peau. Et revendique une modernité dans la recherche des matières innovantes comme les fils de microfibres aérés, travaillés comme un fil de soie, la fluidité des modèles qui mettent en valeur le corps des femmes et les libèrent de certaines contraintes, dont le repassage.

Ses fabricants sont essentiellement européens. Elle achète ses soies à Lyon, elle fait faire sa laine en Allemagne et acquiert en Italie toutes les matières innovantes et les tissus d’été. Pour ce qui est des imprimés, elle réalise elle-même ses dessins et les fait imprimer à Mulhouse. L’artiste est intarissable sur les dangers de la mondialisation, sur les aspects néfastes de la production textile asiatique.

Atelier CléoneL’atelier de couture à proprement parler est situé au rez-de-chaussée. Il était malheureusement fermé et les couturières absentes, pour cause de jour de repos. J’ai pu y jeter un œil alors que tout le monde était à l’étage. Je n’ai pas osé prendre de photo sans autorisation expresse mais on peut le voir dans cette vidéo. Cléone a entièrement formé ses couturières qui n’avaient pas de formation de couturière à la base. Les modèles sont cousus sans bâtir, sans épinglages et il est interdit de découdre pour ne pas endommager les tissus. Ça fait rêver…

Sa grande source d’inspiration est Madeleine Vionnet surnommée la « reine de la coupe en biais » et grande prêtresse de la libération du corps des femmes. Ses œuvres sont exposées au musée des Arts décoratifs. A ce titre, Cléone travaille et prône la couture dans le biais. Elle explique qu’une magie s’opère lorsque le tissu est coupé en biais, le vêtement suit et épouse les lignes du corps et donne toute son allure à la femme.

Cléone est en train de travailler à un nouveau projet: enseigner et transmettre son savoir, via une formation de deux ans sur Internet, qui devrait être mise en place prochainement.

Cette visite très instructive et enrichissante s’est terminée par la découverte du jardin des Païens, à la Petite Pierre qui accueille également une boutique de maroquinerie (fabrication locale) et de faïences. Le jardin est une petite merveille avec des sculptures étranges et fantastiques de Deny Lavoyer.

Le jardin païen, la Petite Pierre

Parmi les étranges créatures on peut admirer le basilic devant l’ancienne tour de guet. Originaire d’Afrique du sud, il est issu d’un œuf de coq, pris et couvé par un crapaud et foudroie tout être vivant par son regard. Et encore, le Sphinx, le phénix et une superbe représentation de licorne.

A très bientôt pour de nouvelles aventures!!

Nathalie

 

Semaine textile #2: D.M.C. ou l’art du fil

Semaine textile #2: D.M.C. ou l’art du fil

La visite de D.M.C. faisait partie de mon choix coup de cœur (en tant que brodeuse à mes heures perdues), mais malheureusement D.M.C. était complet. Je me suis inscrite sur liste d’attente auprès de l’office du tourisme de Mulhouse, sans grand espoir au vu de la forte demande, mais nous avons eu la chance de bénéficier de 2 désistements pour D.M.C., probablement en raison des craintes suscitées par le passage du tour de France.. Ce dont j’aurai l’occasion de reparler plus tard, grrrrrr..

L’équipe de D.M.C. nous a installé dans une petite salle pour nous faire un petit topo préalable de la visite, très pédagogique.

D.M.C. Mulhouse

D.M.C. représente les initiales de ses fondateurs, à savoir la famille Dollfus, dont l’un des directeurs avait épousé une Mieg et qui est devenu Dollfus-Mieg & Cie: D.M.C. Le logo est passé d’une cloche à un cheval et la symbolique du cheval a évolué (la pointe sous le cheval qu’on voit sur la photo a désormais disparu, le sens du cheval a été modifié). Son siège est à Mulhouse avec une grosse logistique installée à Illzach. Ses produits phare que les brodeuses connaissent bien, sont le mouliné, composé de 6 brins, et le coton perlé qui existe en plusieurs épaisseurs de fil, le mouliné représentant 60% du chiffre d’affaires.

Mouliné D.M.C.

L’usine D.M.C. de Mulhouse fabrique dans une certaine mesure son fil, le mercerise, le teinte et le transforme en produit fini. Elle ne fabrique plus de toile mais achète des produits manufacturés dans la région. Elle ne teinte pas non plus les toiles ni la laine qu’elle revend.

Fabrication du fil

D.M.C. n’utilise que du coton essentiellement d’Égypte qui est filé au Pakistan. D.M.C. effectue une opération dite de retordage pour le mouliné : chaque brin de mouliné est composé de deux filé de fibres, issus de la transformation des fleurs de cotonniers en fils, et qui sont retordus ensemble. Cela devient du retors. En fonction de l’utilisation, à savoir couture ou broderie, les fils sont retordus dans un sens ou dans l’autre pour tenir compte de la manière dont le fil et l’aiguille pivotent. Les bobines de fils sont ensuite transformés en grands écheveaux aux fins de traitement et transformation.

D.M.C.

Le nombre de machines pour transformer ces fils en écheveaux est assez époustouflant:

Pour faciliter le travail de transformation, chaque type de fil fabriqué est identifié par une ligature autour des écheveaux constitués, avec un code couleur bien spécifique. Ces ligatures ne sont pas en coton, elles supportent donc tous les traitements que le fil va subir par la suite, sans s’altérer ou changer de couleur.

et en application

Echeveaux D.M.C. ligatures

Mercerisage

Le coton n’étant pas très hydrophile, des opérations préalables dites de mercerisage sont nécessaires avant sa teinture pour  permettre aux colorants véhiculés par l’eau de bien s’accrocher aux fils. A cette fin, les fils de cotons sont trempés dans de la soude caustique et étirés pour que la soude pénètre bien au cœur des fibres, au moyen de ces machines ci-dessous. Cette opération chimique permet d’avoir un fil très brillant, très résistant au lavage et à la lumière et des couleurs riches et intenses. Et oui le coton et la beauté ont un prix…

Teinture

Les colorants utilisés ne sont pas fabriqués par D.M.C.. Ses fournisseurs de colorants sont européens même si D.M.C. reconnaît que la plupart des colorants sont produits en Asie. Chaque couleur est en principe composée de 3 couleurs différentes: rouge, bleu et jaune. Pour certaines couleurs particulières comme le turquoise, les violets, un seul colorant est utilisé. D.M.C. dispose d’un laboratoire chimique dont le rôle est notamment de contrôler la qualité des colorants. Il développe également de nouvelles formules ou corrige certaines formules qui n’ont pas fonctionné de manière adéquate. Il compare et analyse également les colorants utilisés par la concurrence (Coats) pour améliorer la qualité des fils D.M.C..

Les teintures sont effectuées dans des armoires de différentes tailles. Ces armoires permettent à la fois de blanchir, teinter et savonner pour enlever l’excès de colorant. Une seule couleur est utilisée par machine puis dans des teintes dégradées de la même nuance pour rentabiliser le processus et éviter de rincer les machines. Pour les fils changeants, une armoire spéciale contient plusieurs bains de couleurs. Au vu de la quantité d’eau requise pour ces opérations de teinture, D.M.C. utilise sa propre eau.

Dans certains cas des savonnages plus importants sont rendus nécessaires. Ils sont effectués dans des machines distinctes.

Savonnage D.M.C. Mulhouse

Savonnage

Une fois les fils teints, les gros paquets de fils sont à nouveau embobinés pour faciliter leur transformation en produits finis pour la vente, en pelotes ou échevettes .

D.M.C. Mulhouse

C’est le stade du finissage. Les photos ne sont malheureusement pas autorisées au finissage parce que la plupart des machines qui interviennent à ce stade ont été fabriquées par D.M.C. et font toute la spécificité du rendu final de ses fils. Les produits finis sont ensuite rangés dans des petites boîtes avec le logo de la marque pour accomplir des merveilles.

Fils D.M.C.

Encore quelques fils spéciaux.

Je vous souhaite une très bonne soirée, en attendant les prochaines visites.

Nathalie et Monsieur